

du 15 juin au 16 juillet 2023, maison de la littérature
laisser l'incurable être incurable est une forme d'amour
exposition
« depuis la mort de ma grand-mère, mon corps n’a plus la force d’agiter la poussière dans l’eau pour en faire des plaques en plâtre, ni même celle de pétrir des masses d’argile pour façonner des oiseaux blessés. aller à la fruiterie, peler et cuire la courge, la manger, laver l’assiette, m’allonger dans les trèfles mobilise toute l’énergie dont je dispose. le quotidien, cette vie toute simple, sa lenteur, me rapproche du processus de délestage commandé par l’expérience du deuil. il se fraie donc une place dans la démarche artistique : je retourne à l’atelier pour arroser l’hoya, j’en rapporte un canevas de coton. successivement, je porte, étends et replie le tissu qui agit comme un linceul par lequel j’enlace ce qui survit à l’absente. j’inventorie les objets de ma production artistique réalisés avant la perte – un moulage de paumes en cire, des coupoles de porcelaines – comme on recenserait les biens d’une maison inhabitée avant de la vider. dans le jardin, le lilas, le tilleul, la mésange me parlent des manières dont ma grand-mère a pris soin d’eux. les images que j’en tire tentent d’apprivoiser les manques non comme des espaces à combler – la démarche que j’entreprends n’a pas une visée curative –, mais comme des creux dans lesquels apprendre à exister. »
17 juin 2023, maison de la littérature
aimer est un acte de retour
lecture-performance
« j'ai attendu la tristesse. je l’ai regardée comme un oiseau qui ne volait pas encore. j'ai tenté de comprendre – afin de m’en affranchir – d’où me venait la honte qui en inhibait l’expression. il n’y avait rien à faire.
nous sommes en juin. les fleurs du lilas ont flétri, le framboisier bourgeonne. cela fait un an que ma grand-mère est morte. j’étends au sol un drap-linceul. il devient un nid dans lequel le deuil arrive enfin à se déposer. aimer est un acte de retour. je veux remettre la peine à sa place parmi la prière, la mélisse, le thym, le feu, la baignoire, le lit, l’hôpital. je compte les noyaux de dattes amassés tout l’hiver pour les planter, je panse des oiseaux de porcelaine, je récite la plainte que j’ai écrite pour apprivoiser ma peine. la voix qui résonne ne m’appartient pas en propre. ma lamentation célèbre la filiation de ce corps avec ses ancêtres, la lignée des pleureuses. par elles j’accède à la sagesse de l’absente : elle reconnaît la maladie et la mort comme des conditions inextricables du vivant et y consent. en passant du nous au elle, les gestes et les poèmes que je pose sont initiés par la maladie, la solitude et la disparition. au cours de la performance, ils se répètent, s’ouvrent et vont vers une plus grande inclusion de ce qui fait le monde : la croissance, la perte. »

Crédit photo : Clara Touchette-Lacasse

Crédit photo : Clara Touchette-Lacasse

Crédit photo : Clara Touchette-Lacasse

Crédit photo : Lawrence Fafard
SARAH BOUTIN
Sarah Boutin termine à l’Université du Québec à Montréal une maîtrise en arts visuels et médiatiques et création littéraire. Qu’ils soient visuels ou textuels, ses poèmes tentent de cueillir, de porter et de panser les expériences d’absence, d’amnésie ou d’anesthésie inscrites dans les corps-archives. Elle s’interroge sur les manières d’assurer une pérennité sensible aux récits de filiation lorsqu’ils sont soumis à l’effacement, au mutisme ou au repli. Son recueil Prendre fin a été publié chez Pièce jointe en 2021. Son poème en prose Contrairement au ciel remportait en 2022 le prix du public Moebius.
DÉMARCHE
Au croisement des pratiques plastiques et littéraires, le travail de Sarah Boutin fouille l’idée selon laquelle les corps archivent des événements et des mémoires qui agissent sur eux tout en se dérobant à l’intelligibilité. Pour en rendre compte, les vidéoperformances, les photographies, les sculptures et les poèmes qu’elle réalise font office de symptômes. Leur forme est marquée de ruptures et de scissions qui permettent de réfléchir le phénomène de la perte comme une blessure qu’il faut soigner, mais aussi comme une invitation à se relier à ce qui nous préexiste et à ce qui nous excède. Les gestes de panser, de porter et de cueillir sont récurrents dans son travail, car développent une présence attentive à ce qui est en deçà du dicible et au-delà du visible.

